Apprenez à identifier vos passions

La Prima Secundae étudie les actes humains en général. Dans cette partie, saint Thomas prête un certain nombre de questions aux actes communs à l’homme et aux autres animaux : les passions de l’âme (cf. ST I-II, 22-48).

Les passions sont des mouvements de l’appétit sensible. Elles impliquent une réaction, une « transmutation corporelle », une transformation physique, face à un objet qui est appréhendé comme bon ou mauvais.

L’appétit sensible comporte deux facultés ou puissances : le concupiscible et l’irascible. Les passions sont les actes de ces puissances. On distingue donc les passions en deux groupes, selon la puissance qui les a produites : les passions du concupiscible d’une part et les passions de l’irascible d’autre part.

 

Les passions du concupiscible et les passions de l’irascible

Les puissances du concupiscible et de l’irascible se distinguent d’après leurs objets, et donc aussi les passions qui en sont issues.

L’objet de la puissance concupiscible est le bien ou le mal sensible purement et simplement, qu’il soit agréable ou douloureux. Mais il est nécessaire que l’âme souffre parfois difficulté et combat pour atteindre un de ces biens ou fuir un de ces maux, parce que cela dépasse en quelque sorte l’exercice facile de son pouvoir d’être animé ; c’est pourquoi ce bien ou ce mal, en tant qu’il présente un caractère ardu ou difficile, constitue l’objet de l’irascible. Donc, toute passion qui regarde le bien ou le mal de façon absolue appartient au concupiscible ; comme la joie, la tristesse, l’amour, la haine, etc. Et toute passion qui regarde le bien ou le mal en tant qu’il est ardu, c’est-à-dire en tant qu’il y a difficulté à l’atteindre ou à le fuir, appartient à l’irascible, comme l’audace, la crainte, l’espérance, etc.

[ST I-II, q. 23, a. 1, co.]

Les passions du concupiscible se distinguent selon que l’objet appréhendé est considéré comme un bien ou un mal, et selon qu’il y a inclination, mouvement ou repos par rapport à cet objet.

1° Le bien produit dans la puissance affective une sorte d’inclination ou d’aptitude au bien, une connaturalité avec lui ; c’est la passion de l’amour, qui a pour contraire la haine du côté du mal. 2° Si le bien n’est pas encore possédé, il donne à l’appétit du mouvement pour lui faire atteindre le bien qu’il aime, et cela ressortit à la passion du désir ou convoitise. A l’opposite, dans l’ordre du mal, on aura la fuite ou l’aversion. 3° Lorsque le bien est obtenu, il donne à l’appétit un certain repos en lui, qui a nom délectation ou joie. A quoi s’opposent, du côté du mal, la douleur ou la tristesse.

[ST I-II, q. 23, a. 4, co.]

Les passions de l’irascible viennent en quelque sorte s’intercaler entre les passions du concupiscible qui relèvent du mouvement et celles qui relèvent du repos, parce qu’une difficulté se présente. Les passions de l’irascible surgissent quand il y a une difficulté à atteindre un bien ou à fuir un mal. Elles se distinguent selon que l’objet appréhendé est considéré comme un bien ou un mal difficile, et selon qu’il y a approche ou éloignement par rapport à cet objet.

L’objet de l’irascible est le bien ou le mal sensible, non pas pris absolument, mais en tant que difficile ou ardu […]. Le bien ardu ou difficile a de quoi motiver, en tant que bien, une tendance vers lui, qui sera l’espoir ; en tant que difficile à atteindre ou ardu, il explique qu’on s’éloigne de lui, et c’est la passion qu’on appelle désespoir. De même, le mal ardu, en tant que mal, est un objet dont on ne peut que se détourner, et cela ressortit à la passion de la crainte ; il a aussi de quoi fonder une tendance vers lui, comme chose ardue qui permette d’échapper à l’emprise du mal, et c’est ainsi que l’audace tend vers ce mal.

[ST I-II, q. 23, a. 2, co.]

Il reste une passion de l’irascible, dont l’objet est un mal difficile déjà présent : c’est la colère.

La colère, en effet, est causée par la présence immédiate d’un mal difficile. Cette présence impose nécessairement à l’appétit ou bien de s’incliner, et alors il ne sort pas des limites de la tristesse, qui est une passion du concupiscible ; ou bien de s’insurger contre le mal qui le blesse, ce qui ressortit à la colère. Un mouvement de fuite est impossible, puisque le mal est alors présent ou passé. C’est ainsi qu’il n’est pas de passion contraire au mouvement de la colère, d’une contrariété par approche et éloignement. Il en va de même pour la contrariété selon le bien et le mal. Au mal immédiatement présent s’oppose le bien effectivement atteint, lequel ne saurait dès lors avoir un caractère ardu ou difficile. Et lorsque la possession du bien est réalisée, il n’y a plus d’autre mouvement dans l’appétit que le repos dans le bien possédé ; et cela ressortit à la joie, qui est une passion du concupiscible.

[ST I-II, q. 23, a. 3, co.]

Voici un exemple pour illustrer cela :

 

Les passions de l’irascible au service des passions du concupiscible

 

Contrairement à ce que pourrait laisser croire le schéma ci-dessus, le mouvement ne s’arrête pas aux passions de l’irascible. Les passions de l’irascible ne sont que transitoires. Comme je l’ai dit, elles viennent en quelque sorte s’intercaler entre les passions du concupiscible qui relèvent du mouvement et celles qui relèvent du repos. Par exemple, l’espoir se situe entre le désir et la joie. L’espoir devient joie quand le bien désiré se fait présent.

Les passions de l’irascible sont intermédiaires entre les passions du concupiscible qui impliquent mouvement vers le bien ou vers le mal, et celles qui signifient repos dans le bien ou dans le mal. On voit donc que les passions de l’irascible ont leur principe dans celles du concupiscible et se terminent à elles.

[ST I-II, q. 25, a. 1, co.]

L’irascible est une sorte de combattant et de protecteur du concupiscible ; il s’insurge contre les obstacles aux choses agréables que désire le concupiscible, et contre les causes de dommage que ce dernier veut fuir. Par suite, toutes les passions de l’irascible naissent des passions du concupiscible, et se terminent en elles. La colère, par exemple, naît d’une tristesse infligée au sujet, et lorsqu’elle l’en a délivré, elle prend fin dans un sentiment de joie.

[ST I, q. 81, a. 2, co.]

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