Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ?

Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? Etait-ce nécessaire ? Pourquoi a-t-il tant tardé à venir ? Le père Jean-Pierre Torrell nous introduit à la question de l’incarnation chez saint Thomas.

Pourquoi Dieu s’est-il fait homme (I) ? Convenance de l’incarnation

Pourquoi Dieu s’est-il fait homme (II) ? Nécessité de l’incarnation

Pourquoi Dieu s’est-il fait homme (III) ? Motif de l’incarnation

Pourquoi Dieu s’est-il fait homme (IV) ? Une voie nouvelle

Pourquoi Dieu s’est-il fait homme (V) ? Le moment de l’incarnation

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Résumé

La convenance de l’incarnation

Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? Les Pères de l’Eglise ont tenté très rapidement de répondre à cette question, mais ça a été très tâtonnant au début et leurs tentatives ont parfois soulevé plus de problèmes qu’elles n’ont porté de solutions. Saint Thomas reprend la question à l’endroit où saint Anselme de Cantorbéry l’avait laissée. Lui-même, Anselme, s’était débarrassé de ce qu’il y avait de plus discutable dans les tentatives précédentes, mais il est resté marqué par une vue trop juridique du mystère. Thomas renonce à voir les relations entre l’homme et Dieu dans une perspective de nécessité. Quand il commence à parler du Christ dans la troisième partie de la Somme, son premier soin est d’écarter l’idée d’une nécessité de l’incarnation, et il met en avant d’emblée la notion de convenance. Etait-il convenant que Dieu s’incarne ?

L’idée de convenance est plus forte que ce que nous appelons « convenable », qui ne signifie guère plus qu’une décence mondaine. Dieu est au-delà de tout : Pourquoi viendrait-il dans notre bas monde ? D’après ce que nous savons de Dieu par la révélation, on peut essayer de mettre la venue du Verbe dans notre chair en relation avec d’autres vérités dans la foi. En montrant le rapport de ces vérités entre elles, on découvre un peu mieux l’harmonie profonde du plan divin. Thomas rappelle d’emblée que Dieu n’était d’aucune manière contraint de s’incarner. S’il le fait, c’est de sa propre initiative et sa liberté demeure intacte. Mais on peut dire que pour Dieu, étant la bonté-même, il est suprêmement convenant de se communiquer à sa créature par sa grâce. Cette générosité divine ira même jusqu’à se donner lui-même. Thomas met en œuvre un principe philosophique bien connu : l’amour tend à se répandre. Le bien tend à se répandre, à se diffuser, à se partager. C’est ainsi qu’on rejoint, par la voie d’un raisonnement simple et convaincant à la fois, ce que la foi tient de la révélation : Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné pour nous son Fils unique.

La nécessité de l’incarnation

Thomas propose une distinction. Il y a deux sens du mot nécessaire :

  • On dit qu’un moyen est nécessaire à l’obtention d’une certaine fin, si cette fin ne peut pas être obtenue autrement que par l’utilisation de ce moyen. Par exemple, la nourriture est nécessaire à la conservation de la vie. C’est une nécessité absolue. En ce premier sens, il n’était pas nécessaire que Dieu s’incarne pour restaurer la nature humaine. Selon sa puissance infinie, Dieu pouvait s’y prendre de toute autre manière dont nous n’avons même pas idée.
  • On dit qu’un moyen est nécessaire s’il permet de parvenir à la fin poursuivie de façon plus commode, de façon plus convenante. Par exemple, un moyen de locomotion est nécessaire pour se déplacer. Théoriquement, je peux aller à Moscou à pied, mais il est plus facile de s’y rendre en avion ou en train. Cela présente bien des avantages. C’est en ce deuxième sens que l’on peut dire que Dieu s’incarne pour restaurer la nature humaine abîmée par le péché.

Saint Thomas avance dix raisons de convenance. Il les a réparties en deux grandes séries. La première série souligne l’avantage qui en résulte du point de vue de l’avancement de l’humanité dans le bien (5 raisons). La deuxième série s’emploie à mettre en évidence comment l’incarnation est utile pour nous éloigner du mal (5 raisons). L’incarnation ne manque pas d’avantages ! Saint Thomas ajoute que beaucoup d’autres bienfaits ont encore découlé de l’incarnation, mais ils dépassent la capacité de l’intelligence humaine.

Le motif de l’incarnation

Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? Quelle est la raison qui a pu le pousser à cet acte d’incompréhensible amour ? Dieu se serait-il incarné si l’homme n’avait pas péché ?

Les théologiens contemporains de saint Thomas apportaient différentes réponses à cette question, mais saint Thomas pense pour sa part pouvoir les ramener à deux principales : « Certains disent que même si l’homme n’avait pas péché, le Fils de Dieu se serait incarné. Cependant, d’autres assurent le contraire et il semble préférable de se rallier à leur opinion. » Il explique pourquoi il retient la deuxième réponse : « Ce qui dépend de la seule volonté de Dieu ne peut nous être connu que dans la mesure où cela nous est révélé dans l’Ecriture sainte, car c’est par elle que la volonté de Dieu se fait connaître. » Le recours à l’Ecriture Sainte est la règle ultime du théologien. « Etant donné que dans la sainte Ecriture le motif de l’incarnation est toujours pris du péché du premier homme, il est plus convenable de dire que l’œuvre de l’incarnation a été ordonnée par Dieu comme remède au péché, de sorte que sans le péché il n’y aurait pas eu non plus d’incarnation. » Dieu vient au secours de sa créature qui, sans son aide, n’aurait pas pu être libérée de l’esclavage du péché.

Une voie nouvelle

Saint Thomas ne veut pas se laisser enfermer dans une seule option. Il propose une autre voie qui se trouve plus clairement exposée dans la Somme contre les Gentils. Sans répudier l’héritage traditionnel, il apporte un argument nouveau : Il convenait que Dieu se fasse homme pour donner à l’homme la possibilité de voir Dieu.

« L’incarnation apporte à l’homme en route vers la béatitude une aide efficace au plus haut degré. On le sait, la béatitude parfaite de l’homme consiste dans la vision immédiate de Dieu. Mais en raison de l’immense distance qui sépare Dieu de l’homme, cela pourrait sembler impossible. Et alors, paralysé par le désespoir, l’homme se relâcherait dans sa quête de la béatitude. Mais le fait que Dieu ait voulu s’unir en personne à la nature humaine, en Jésus-Christ, démontre à l’évidence aux hommes qu’il est possible d’être immédiatement uni à Dieu, en le voyant sans intermédiaire. Il convenait donc au plus haut point que Dieu assume la nature humaine afin de raviver l’espérance de l’homme en la béatitude. » (SCG IV, chp. 54)

Le moment de l’incarnation

Pourquoi Dieu a-t-il tant tardé à venir ? La thèse pessimiste consiste à dire que Dieu est intervenu quand la perversité était à son comble. Une autre thèse, la thèse optimiste, met en valeur la longanimité de Dieu et sa lente pédagogie. Dieu apprend peu à peu à l’humanité, par une révélation chaque jour plus précise et plus claire, à « frayer » avec lui. C’est quand l’humanité fut prête à le recevoir que Dieu s’est incarné.

Thomas refuse l’alternative. En s’appuyant sur saint Paul (« Dieu a envoyé son Fils quand la plénitude des temps fût accomplie »), il enseigne l’opportunité maximale du moment de la venue de Dieu sur notre terre et en développe les raisons.

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