L’Immaculée Conception : la pierre d’achoppement de saint Thomas

La position de saint Thomas sur l’Immaculée Conception a fait couler de l’encre. Et pour cause ! Saint Thomas ne suit pas sur ce point la doctrine qui deviendra plus tard celle de l’Eglise catholique. Cette erreur est évoquée à l’envi quand il s’agit de montrer que tout n’est pas parole de vérité dans ses propos et que, comme tout homme, il a pu aussi se tromper.

Quelle est donc cette position ? Pour le savoir, on peut aller voir la Tertia Pars de la Somme de théologie. Il y a là plusieurs questions intéressantes à propos de la Vierge Marie : sa sanctification (q. 27), sa virginité (q. 28), ses fiançailles (q. 29) et l’annonciation (q. 30). La question de l’Immaculée Conception est en quelque sorte abordée dans la question qui traite de la sanctification de la Vierge, la question 27.

 

La position de saint Thomas : La purification de la Vierge

 

Les trois premiers articles de la question 27 révèlent la position de saint Thomas.

 

La Vierge a été sanctifiée avant sa naissance (article 1)

L’Ecriture sainte ne nous apprend rien à ce sujet ; elle ne fait même pas mention de la naissance de Marie. Cependant S. Augustin, dans un sermon sur l’Assomption, établit de façon rationnelle qu’elle a été enlevée au ciel avec son corps, ce que l’Ecriture ne nous révèle pas. De même peut-on établir de façon rationnelle qu’elle fut sanctifiée dès le sein de sa mère. En effet, on a de bonnes raisons de croire qu’elle a reçu des privilèges de grâce supérieurs à ceux de tous les autres hommes, elle qui a enfanté « le Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14). Aussi l’ange lui dit-il : « Je vous salue, Marie, comblée de grâce » (Lc 1, 28).

[ST III, q. 27, a. 1, co.]

Mais elle ne pouvait pas être sanctifiée avant son animation (article 2)

La sanctification de la Bienheureuse Vierge n’a pu s’accomplir avant son animation pour deux raisons :

1° La sanctification dont nous parlons désigne la purification du péché originel ; en effet, d’après Denys, la sainteté est « la pureté parfaite ». Or la faute ne peut être purifiée que par la grâce, et celle-ci ne peut exister que dans une créature rationnelle. C’est pourquoi la Bienheureuse Vierge n’a pas été sanctifiée avant que l’âme rationnelle lui ait été donnée.

2° Seule la créature rationnelle est susceptible de faute. Le fruit de la conception n’est donc sujet à la faute que lorsqu’il a reçu l’âme rationnelle. Si la Bienheureuse Vierge avait été sanctifiée, de quelque manière que ce fût, avant son animation, elle n’aurait jamais encouru la tache de la faute originelle. Ainsi elle n’aurait pas eu besoin de la rédemption et du salut apportés par le Christ, dont il est dit en S. Matthieu (1, 21) : « Il sauvera son peuple de ses péchés. » Or il est inadmissible que le Christ ne soit pas « le sauveur de tous les hommes » (1 Tm 4, 10). Il reste donc que la sanctification de la Bienheureuse Vierge Marie s’est accomplie après son animation.

[ST III, q. 27, a. 2, co.]

Cette sanctification n’a pu être totalement accomplie qu’après la conception du Christ (article 3)

La sanctification dans le sein de sa mère n’a pas délivré la Bienheureuse Vierge du foyer [de péché] dans ce qu’il y a d’essentiel ; il est demeuré, mais lié. Ce ne fut pas un acte de sa raison, comme chez les saints, car dans le sein de sa mère elle n’avait pas l’usage de son libre arbitre. Cela est le privilège spécial du Christ. Ce fut par l’abondance de la grâce qu’elle reçut dans sa sanctification, et plus parfaitement encore par la providence divine qui préserva son appétit de tout mouvement désordonné. Mais ensuite, lorsqu’elle conçut la chair du Christ, dans laquelle devait resplendir en premier l’exemption de tout péché, on doit croire que celle-ci rejaillit de l’enfant sur la mère, et que le foyer fut totalement supprimé. C’est ce qu’annonçait symboliquement Ezéchiel (43, 2) : « Voici que la gloire du Dieu d’Israël arrivait par la route de l’orient », c’est-à-dire par la Bienheureuse Vierge, « et la terre », c’est-à-dire la chair de celle-ci, « resplendissait de sa gloire », celle du Christ.

[ST III, q. 27, a. 3, co.]

 

Les articles 2 et 3 exposent deux difficultés majeures auxquelles saint Thomas fait face :

 

  • Pour être purifié, il faut une âme rationnelle, car seule une âme rationnelle peut être atteinte par le péché originel et recevoir la grâce qui purifie.

Selon saint Thomas, ce n’est pas au moment de sa conception que le nouvel être reçoit une âme rationnelle, mais plus tard, lorsque son corps est suffisamment formé pour y être disposé. Ce n’est donc pas au moment de sa conception mais plus tard, lorsqu’elle a reçu une âme rationnelle, que la Vierge a pu être atteinte par le péché originel et en être purifiée par la grâce.

Contrairement à ce qui deviendra la doctrine de l’Eglise catholique, saint Thomas enseigne que la Vierge n’était pas immaculée au moment de sa conception. On pourrait penser que l’erreur de saint Thomas repose seulement sur son idée d’une animation différée. S’il avait admis que le nouvel être reçoit une âme rationnelle au moment même de sa conception, il aurait admis que la Vierge aurait été atteinte par le péché originel dès le premier instant et donc purifiée dès le premier instant. C’est judicieux, mais ce n’est pas encore conforme à ce qui deviendra la doctrine de l’Eglise. La doctrine de l’Eglise ira plus loin.

 

  • Pour être purifié totalement, il faut que le Christ ait été conçu dans la chair, car il est le seul à pouvoir purifier totalement du péché originel, et cela en vertu de sa chair.

Ce n’est donc que lorsque le Christ a été conçu dans la chair que la Vierge a pu être totalement purifiée du péché originel. Ici encore, la doctrine de l’Eglise ira plus loin.

 

La doctrine de l’Eglise catholique : L’Immaculée Conception

 

La doctrine de l’Immaculée Conception dépasse les difficultés qui ont fait obstacle à saint Thomas.

Nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine, qui tient que la bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception par une grâce et une faveur singulière du Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel, est une doctrine révélée de Dieu, et qu’ainsi elle doit être crue fermement, et constamment par tous les fidèles.

[Pie IX, bulle Ineffabilis Deus, 8 décembre 1854]

Face à la première difficulté (l’âme rationnelle), l’Eglise enseigne que la Vierge a été préservée intacte de toute souillure du péché originel. La Vierge a été préservée et non purifiée. Le péché originel n’a pas atteint la Vierge Marie. La question de l’âme rationnelle qui aurait pu être atteinte et purifiée du péché ne se pose donc pas. Mais, pourrait-on rétorquer, si la Vierge n’a pas été atteinte par le péché originel, est-ce à dire qu’elle n’avait pas besoin d’être sauvée ? Pas pour autant. On pourrait dire que le salut a été pour elle comme un bouclier et non comme un remède.

Face à la seconde difficulté (la chair du Christ), l’Eglise enseigne que la Vierge Marie a été préservée du péché, en vue des mérites du Christ, Sauveur du genre humain. Comme tous les hommes, la Vierge a été sauvée par le Christ, par les mérites de sa chair. Mais elle a été sauvée par anticipation. Si elle a été sauvée avant l’incarnation, cela n’a été possible qu’en vue de l’incarnation.

 

Ainsi, nous voyons comment la Vierge a été l’heureuse bénéficiaire d’une grâce et d’une faveur singulière du Dieu tout-puissant, lesquelles ont échappé au raisonnement de saint Thomas !

Articles similaires

Récapitulation : la charité du Christ

Récapitulation : la charité du Christ

On peut récapituler tout le mystère du Christ à partir de sa charité. Le frère John Emery nous introduit à la charité du Christ telle que saint Thomas la considère.​La charité du ChristSi nécessaire, activez les sous-titres de la vidéo en français (Comment activer les...

lire plus
Le Salut apporté par le Christ

Le Salut apporté par le Christ

Comment le Christ nous sauve-t-il ? Comment le mérite du Christ intervient dans notre Salut ? Le frère John Emery nous introduit à la question du Salut par le Christ chez saint Thomas d'Aquin.Le rôle du mérite du Christ dans le nôtre Vue générale de la sotériologie de...

lire plus
Quelques aspects de l’humanité du Christ

Quelques aspects de l’humanité du Christ

Quelles connaissances avait le Christ ? Pourquoi le Christ avait-il des déficiences ? Qu'est-ce que la communication des idiomes ? Le Christ avait-il plusieurs volontés ? Le frère John Emery nous introduit à l'enseignement de saint Thomas d'Aquin sur ces aspects de...

lire plus