Les grands moments de la vie terrestre de Jésus

Quelle place occupe le Christ dans la spiritualité de saint Thomas ?

Il y a deux grandes idées complémentaires chez saint Thomas :

Dans la synthèse circulaire de la Somme (tout part de Dieu et tout revient à Dieu). Le Christ apparaît très nettement dans la troisième partie de la Somme comme celui qui prend la tête du mouvement de retour de son peuple vers Dieu. Pour employer l’image du corps du Christ : le Christ retournant vers le Père prend avec lui et en lui, mystiquement, tous ceux qui sont devenus ses membres par le baptême. Dans cette perspective, il est évident que le modèle qu’il faut suivre, qu’il faut imiter, c’est le Christ. Toute la vie, tous les gestes, toutes les vertus du Christ, sont des exemples à mettre en œuvre dans toute vie chrétienne.

Nous avons été créés à l’image du Fils premier né. Le Fils seul est l’image. Nous sommes à l’image du Fils premier né. Et nous devons être conformés à lui. La grâce que le Christ nous communique est en réalité une grâce christo-conformante. Cela signifie que dans son humanité, le Christ est pour nous l’instrument de la grâce. L’instrument laisse sa marque : notre grâce est donc christique. On peut aussi le dire ainsi : c’est comme l’eau de source, l’eau garde en elle la trace des minéraux qu’elle a traversés. La grâce reçue au baptême nous conforme au Christ, c’est une grâce filiale. Elle porte en outre les qualités majeures du Christ : par exemple, prêtre, prophète et roi. Elle nous entraîne aussi à revivre les grands moments de la vie terrestre de Jésus. Ces grands moments restent présents et agissants en raison de l’identité divine du sujet qui les a posés.

Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par les « grands moments » de la vie terrestre de Jésus ?

C’est ce qu’on appelle les « mystères de la vie du Christ ». C’est une des nouveautés introduites par saint Thomas dans la réflexion théologique sur le Christ. Tous les théologiens de son temps enseignent les problèmes métaphysiques qui se posent à propos de l’incarnation du Fils de Dieu. Personne, à l’époque, ne parlait d’une manière systématique de la vie de Jésus. Saint Thomas s’est interrogé sur la signification, pour nous et pour notre salut, de tous et de chacun des actes posés par le Christ durant tout le temps de sa vie terrestre. Cela commence par la conception dans le sein de la Vierge Marie jusqu’à l’ascension à la droite du Père, en passant par la naissance du Christ, par sa manifestation aux bergers, aux Juifs (en la personne d’Anne et aussi de Syméon), par le baptême, par la tentation, par sa manière de se conduire parmi les hommes, parmi les disciples, par sa prédication, par ses miracles, par sa passion, et par sa résurrection.

Quel enseignement spirituel tirait saint Thomas des tentations du Christ ?

On peut retenir deux choses essentielles :

La première répond à la question « Pourquoi le Christ devait-il être tenté ? » Il n’y avait aucune nécessité à cela. A quoi donc cela correspond-il dans le plan de Dieu ? Thomas en donne quatre raisons :

• Pour nous venir en aide dans nos propres tentations : Jésus montre qu’il est possible de résister à la tentation.
• Pour nous inviter à la vigilance : si le propre Fils de Dieu a été soumis à la tentation, personne n’est à l’abri.
• Pour nous montrer par son exemple comment il est possible de vaincre la tentation : par le recours aux Ecritures, la prière, la méditation, etc.
• Pour nous inspirer confiance en sa miséricorde : nous n’avons pas un prêtre incapable de compatir à notre faiblesse.

La deuxième chose, c’est la manière dont se sont produites les tentations du Christ : il y a un ordre, une progression. Tout le monde n’est pas accessible aux mêmes tentations.Quand le démon veut éprouver le Christ, il cherche quel est son point faible. Tentation signifie « mise à l’épreuve ». Le démon commence d’une manière plutôt anodine, qui se comprend : le Christ a faim. Il lui dit de changer les pierres en pains. Du désir de la nourriture, il va s’efforcer de l’amener au désir de la gloire (posséder tous les royaumes du monde), puis au péché suprême (tenter Dieu). Il en va de la tentation comme de la grâce. La fidélité à la grâce prépare à recevoir de nouvelles grâces, et à l’inverse, le fait de céder sur les petites choses conduit insensiblement à des concessions de plus en plus graves. Voilà pourquoi il faut se maintenir dans une perpétuelle vigilance.