Les 4 espèces de qualité

​Lorsque l’objet qu’étudie saint Thomas est un accident de qualité, par exemple une vertu, il cherche à classer cet objet parmi les 4 espèces de qualité. Cet exercice est indispensable pour bien comprendre de quoi il s’agit.

Rappel : les 10 catégories d’Aristote

 

Pour opérer cette classification, saint Thomas s’appuie sur les 10 catégories (ou prédicaments) définies par Aristote. Ce sont les 10 genres de l’être : la substance et les 9 accidents.

La substance, c’est ce qui existe en soi, et pas dans un autre. C’est par exemple un homme ou un cheval.

L’accident, c’est ce qui existe dans un autre. L’accident ne peut pas exister en soi, il existe toujours dans un sujet, dans une substance. C’est par exemple la couleur des cheveux de l’homme ou la robe du cheval.

La sub-stance, c’est ainsi ce qui se « tient en-dessous » des accidents. Les accidents, quant à eux, tiennent leur être de la substance. Ils confèrent certaines déterminations à la substance, sans pour autant la changer dans son essence.

Aristote classe donc les accidents en 9 catégories, c’est là qu’apparaît la qualité :

  • la quantité (long-de-deux-coudées, long-de-trois-coudées) ;
  • la qualité (blanc, grammairien) ;
  • la relation (double, moitié, plus grand) ;
  • le lieu (dans le Lycée, à l’Agora) ;
  • le temps (hier, l’an dernier) ;
  • la position (couché, assis) ;
  • la possession (chaussé, armé) ;
  • l’action (coupe, brûle) ;
  • la passion (coupé, brûlé).

Les deux premiers accidents sont la quantité et la qualité. La quantité est une mesure de la substance (déterminée par les dimensions) ; la qualité est une disposition de la substance (cf. ST I, q. 28, a. 2, co.).

La quantité est en quelque sorte le socle de la qualité. Saint Thomas illustre souvent cela par l’exemple de la couleur et de la surface : la surface (quantité) est le sujet de la couleur (qualité). La substance reçoit la couleur par l’intermédiaire de la surface.

Les 4 espèces de qualité

 

Aristote distingue 4 espèces de qualité :

  • la disposition et l’habitus (1ère espèce) ;
  • la puissance et l’impuissance (2ème espèce) ;
  • la passion et la qualité passible (3ème espèce) ;
  • la figure ou la forme (4ème espèce).

 

Tableau qualités

Ce tableau a été réalisé principalement à partir de deux passages où saint Thomas énumère les différentes espèces de qualité, en expliquant ce qui les distingue.

Lorsqu’il étudie l’habitus, saint Thomas se demande s’il s’agit d’une espèce déterminée de la qualité. Il écrit alors (ST I-II, q. 49, a. 2, co.) :

La modalité ou détermination du sujet dans l’ordre accidentel peut être prise, soit par rapport à la nature même du sujet ; soit sur le plan de l’action et de la passion, qui sont deux effets consécutifs à ces principes de la nature que constituent la matière et la forme, soit sur le plan de la quantité. – S’il s’agit d’une détermination relative à la quantité, on a ainsi la quatrième espèce de qualité. Et comme la quantité est de soi en dehors du mouvement, en dehors aussi de la notion du bien et du mal, il n’appartient pas à cette quatrième espèce de qualité que cela soit bien ou mal, que cela passe vite ou lentement. – Pour ce qui est de la détermination sur le plan de l’action et de la passion, elle s’observe dans la deuxième et la troisième espèce de qualité, et c’est pourquoi dans l’une comme dans l’autre on considère que c’est de formation facile ou difficile, que c’est transitoire ou durable ; mais là encore il n’est question de rien qui se rapporte à la notion du bien et du mal, parce que les mouvements et les passions ne sont pas en eux-mêmes une fin, et que le bien comme le mal se définit par sa relation à une fin.

Mais si la détermination ou la modalité du sujet est en fonction de la nature même, on a cette première espèce de qualité qui n’est autre que l’habitus et la disposition. Parlant en effet des habitus de l’âme et du corps, le Philosophe dit que ce sont “dans un être parfait des dispositions au meilleur ; quand je dis parfait, cela s’entend de l’état de la nature”. Cette fois, parce que “la forme même d’une chose, sa nature, est réellement une fin et la cause pour laquelle la chose existe”, inévitablement dans cette première espèce de qualité on regarde le bien et le mal ; et aussi, puisqu’une nature est la fin d’une génération et d’un changement, on regarde si c’est facilement ou difficilement changeant. De là cette définition donnée par le Philosophe : “L’habitus est l’état suivant lequel on est en bonne ou mauvaise disposition” ; et celle-ci : “Les habitus sont ce qui nous fait réagir bien ou mal dans les passions.” En effet, quand c’est un mode d’être qui s’accorde avec la nature de la réalité, alors il a raison de bien ; mais quand il ne s’accorde pas, alors il a raison de mal. Et parce que la nature est ce que l’on regarde en premier lieu dans une réalité, il s’ensuit que l’habitus constitue la première espèce de qualité.

Lorsqu’il étudie la grâce, saint Thomas cherche à savoir à quelle espèce de qualité elle se ramène. Il écrit alors (ST I-II, q. 110, a. 3, arg. 3 et ad 3) :

La grâce est une qualité. Mais il est manifeste qu’elle n’appartient pas à la quatrième espèce de qualité qui se définit : “la forme ou figure qui circonscrit un corps”, car la grâce n’est pas corporelle. Elle n’appartient pas davantage à la troisième espèce qui est “une passion ou une qualité passive” dont le siège, comme le montre Aristote, est la partie sensible de l’âme, la grâce en effet réside principalement dans la partie spirituelle de l’âme. Elle n’appartient pas non plus à la deuxième espèce qui est “une puissance ou une impuissance naturelle”, car la grâce est au-dessus de la nature ; de plus elle n’est pas indifférente au bien et au mal comme la puissance naturelle. Reste donc la première espèce de qualité qui est l’habitus ou la disposition.

La grâce se ramène à la première espèce de qualité.

Pour aller plus loin…

​Pour en savoir plus sur la substance et les accidents : « La structure en acte et puissance des réalités »

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