La Trinité, les Personnes divines

Peut-on comprendre la Trinité ? Quelle est la place de la Trinité dans la Somme de théologie ? Que sont les « processions », les « relations » et les « personnes » ? Le père Gilles Emery nous introduit à l’étude de la Trinité chez saint Thomas d’Aquin.

Comment aborder le mystère de la Trinité ?

Quelle est la place de la Trinité dans la Somme ?

Pourquoi s. Thomas commence l’étude de la Trinité par les processions ?

Que sont les processions ?

Le concept de relation pour étudier la Trinité

Les personnes divines

Qu’est-ce que la communion trinitaire pour saint Thomas ?

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Résumé

De quelle manière peut-on aborder l’étude de la Trinité d’une façon qui respecte ce mystère et nourrisse notre intelligence ?

La première manière d’étudier la Trinité, pour saint Thomas, c’est bien sûr de lire l’Ecriture sainte, avec la règle de foi (le credo), telle qu’elle a été reçue par l’Eglise. La manière fondamentale d’aborder l’étude de la Trinité, c’est donc de regarder la vie de Jésus, ce qu’il nous dit du Père, et d’écouter l’Ecriture nous parlant de l’Esprit que Jésus répand. Le grand danger auquel la théologie trinitaire est confrontée est la rationalisation, c’est-à-dire de tenter d’expliquer le mystère. Il n’y a pas d’explication, on ne peut pas comprendre Dieu. Dieu seul peut comprendre Dieu, car comprendre, au sens théologique de ce mot, c’est connaître une réalité autant qu’elle est connaissable. Or, nous sommes des créatures limitées et nous ne pouvons pas connaître l’infinité de Dieu autant qu’il est connaissable. Comme le dit saint Thomas, il y a en a trois seulement qui comprennent Dieu : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Nous ne pouvons pas démontrer la Trinité. Nous recevons l’enseignement de la foi trinitaire par l’Ecriture et l’Eglise. Mais nous pouvons montrer que la foi trinitaire tient la route, qu’elle n’est pas inintelligible, qu’on peut en montrer la lumière, même si cette lumière dépasse ce que nous pouvons en percevoir. L’étude de la Trinité est un exercice spirituel (exercice de l’intelligence contemplative), qui vise à rendre compte de la foi pour soutenir les plus faibles dans la foi (pour encourager les fidèles), et pour leur procurer le réconfort que donne la réception croyante, paisible, d’une foi à transmettre. Saint Thomas vise à montrer l’intelligibilité de la foi trinitaire par des analogies, et la cohérence interne de la foi à la lumière de la Trinité.

Quelle place l’étude de la Trinité occupe-t-elle dans la Somme de théologie ?

La Trinité occupe une place centrale dans la Somme de théologie. Quand on parle de la Trinité, on n’entend pas seulement les questions 27 à 43 de la Prima Pars, qui concernent la distinction des personnes, mais tout le traité de Dieu Trinité, qui commence par l’existence de Dieu, puis par l’étude des attributs divins. Quand on parle de Trinité, il faut entendre le traité de Dieu Trinité. La place du traité de Dieu Trinité dans la Somme est centrale. C’est le pivot, le nerf, le centre qui éclaire tout.

Le traité de Dieu Trinité, à la question 43 de la Prima Pars, s’achève par une question sur les missions des personnes divines : l’envoi du Fils et du Saint-Esprit dans les cœurs par la grâce. L’étude de l’agir humain ou du mouvement des créatures vers Dieu sera l’approfondissement de cette dimension trinitaire. Cela signifie aussi que les missions, qui incluent les missions visibles (l’incarnation et la pentecôte) contiennent en elles-mêmes la christologie et la pneumatologie. La christologie est la partie de la théologie trinitaire qui étudie la mission du Fils dans notre chair humaine. La mission du Fils culmine dans l’exaltation et dans l’envoi du Saint-Esprit avec des signes visibles : c’est la mission visible du Saint-Esprit à la pentecôte. On trouve donc dans la Somme de théologie, dans l’étude du mystère de Dieu Trinité, comme en noyau, tout ce que le reste de la Somme va déployer.

Pourquoi saint Thomas commence-t-il l’étude de la Trinité dans la Somme de théologie par les processions ?

La méthode de saint Thomas consiste à ordonner ou à enchaîner les questions de manière à ce que, à chaque étape, le lecteur ou l’étudiant bénéficie des éléments nécessaires pour comprendre cette étape. Pour saint Thomas, les personnes divines sont des relations, des relations subsistantes. C’est pourquoi l’étude du Père, du Fils et de l’Esprit demande d’abord que l’on précise ce qu’est une personne : ce que saint Thomas fait à partir de la question 29. Mais si l’on veut saisir la personne divine comme une relation, il faut préalablement étudier ce qu’est une relation : c’est ce que saint Thomas fait à la question 28. Mais les relations ne surgissent pas de rien, il faut trouver leur fondement, c’est-à-dire la réalité qui entraîne l’existence de relations réelles en Dieu.

Ce fondement, ce sont des actions auxquelles répondent des processions en Dieu. C’est l’action par laquelle Dieu dit, prononce, son Verbe et l’action par laquelle le Père et le Fils soufflent le Saint-Esprit : ce qui donne lieu à la procession qui est la génération du Verbe et à la procession qui est l’origine du Saint-Esprit. Le commencement du traité de la Trinité dans la Somme par les processions vise à rendre compte du fondement des relations. Relations qui à leur tour permettront de saisir les personnes, de telle manière qu’on puisse ensuite étudier le mystère du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Qu’est-ce que saint Thomas nous apprend sur la façon de comprendre les processions dans la Trinité ?

L’étude des processions a pour but de rendre compte du fondement, c’est-à-dire de ce qui entraîne l’existence de relations réelles en Dieu. Ce qui caractérise l’approche de saint Thomas, c’est qu’il concentre son étude de la première procession, qui est la génération, sur la notion de verbe : le Fils est le Verbe. Saint Thomas discerne dans l’activité intime de Dieu le Père un acte fécond, par lequel le Père engendre (ou dit, prononce) un Verbe, qui est distinct de lui-même et qui cependant demeure en lui. Saint Thomas saisit la procession du Saint-Esprit d’une manière comparable, en quelque sorte, à la génération du Verbe. Il propose de saisir la procession du Saint-Esprit comme le surgissement en Dieu d’un élan d’amour, d’une affection d’amour, à la façon dont l’être aimé est gravé dans le cœur de celui qui aime. Par cette analogie, nous comprenons l’Esprit Saint qui est l’amour lui-même.

Cela permet en particulier de manifester un ordre. Ce que l’étude des processions vise premièrement, c’est de manifester la distinction sans confusion de trois personnes divines. Sans confusion, c’est-à-dire selon un ordre : le Père est l’origine première ; il engendre un Verbe ; et avec son Verbe, il souffle l’Esprit Saint, qui est l’Amour.

Pourquoi est-il important pour saint Thomas de faire appel au concept de relation pour étudier la Trinité ?

La relation, pour rendre compte de la foi en la Trinité, n’est pas une invention de saint Thomas. Le premier théologien qui a véritablement élaboré une doctrine des relations à propos de la Trinité est saint Basile de Césarée. Saint Basile montrait que les noms Père et Fils signifient des relations. Etre père, c’est entretenir une relation de principe et d’origine à l’égard d’un autre être, auquel on donne sa nature et qui est un fils. Etre fils, c’est recevoir son être d’un autre qui est son père et être en relation avec lui. Saint Basile développait cela afin de montrer que, pour le Fils, ne pas être Père ne lui enlève rien de divin, puisque « Fils » ne désigne pas l’essence de Dieu, mais une relation. Il en va de même pour le nom de « Père ». La manière de rendre compte de la foi aux personnes divines au moyen de la notion de relation vise premièrement à montrer la consubstantialité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, car être Père, être Fils ou être Esprit Saint signifie premièrement une relation qui ne supprime en rien l’unité substantielle des trois personnes divines.

Tous les théologiens qui viendront après les Pères cappadociens poursuivront cet héritage, dont Anselme de Cantorbéry, qui a une grande importance pour la suite de la théologie médiévale. Il explique que les personnes divines se distinguent par des relations opposées, non pas au sens d’un conflit, mais au sens formel : le Père n’est pas le Fils ; le Fils n’est pas le Père. Saint Thomas poursuit cet héritage, car la relation offre l’unique manière de rendre compte des personnes divines sans porter atteinte à leur parfaite consubstantialité. Toutes les autres formes d’opposition (contradiction ou contrariété, par exemple) impliquent une différence, un plus ou un moins dans un terme ou dans l’autre. Il n’y a que la relation qui n’implique aucune différence essentielle.

L’avancée unique de saint Thomas, c’est d’avoir non seulement montré que les personnes se caractérisent ou se distinguent par des relations, mais que les personnes sont des relations, des relations subsistantes. C’est la relation elle-même qui constitue et distingue les personnes.

Comment profite-t-on de l’étude des « personnes » divines après celle des « processions » et des « relations » ?

Il y a deux moments.

Tout d’abord, les questions 29 à 32 de la Prima Pars où saint Thomas s’intéresse en particulier à la notion de personne : la personne de manière commune, telle qu’elle s’applique communément au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Dans cette section, il reprend tout d’abord la définition de la personne par Boèce à la fin de l’Antiquité, qui définit la personne comme une « substance individuelle de nature rationnelle ». Cette définition est une notion analogue qui s’applique de manière commune mais différenciée aux personnes divines, aux personnes que sont les anges et aux personnes humaines. Saint Thomas tient beaucoup à cette notion analogue, car il ne veut pas séparer d’un côté une notion de personne qui reviendrait exclusivement à la Trinité (en termes de subsistance, par exemple), et d’autre part, une notion de personne humaine qui serait définie exclusivement en termes de subjectivité, c’est-à-dire de conscience ou d’activité libre. Cela dit, cette définition de Boèce ne suffit pas encore pour rendre compte des personnes divines, qui sont des relations. Les personnes humaines sont individuées par la matière, et non par des relations.

Toutes ces explications trouvent leur application et leur finalité dans l’étude du mystère du Père à la question 33, puis de la personne du Fils aux questions 34 et 35, puis du Saint-Esprit aux questions 36 à 38. Saint Thomas expose de quelle manière nous pouvons saisir le Père non seulement dans la vie intime de la Trinité (le Père dans sa relation au Fils avec qui il souffle le Saint-Esprit), mais aussi dans son rapport avec les créatures (dans l’ordre de la création et de la grâce). Puis saint Thomas nous invite à mieux saisir le mystère du Père par l’étude du Fils comme Verbe : ce qui caractérise le Père, c’est d’être relation à l’égard du Verbe, il est celui qui dit le Verbe. Saint Thomas étudie aussi le Fils comme Image, c’est-à-dire parfaite expression du Père : le Verbe représente parfaitement celui qui le dit. Ayant étudié la personne du Père, puis la personne du Fils dans les noms Verbe et Image, saint Thomas en vient à la question du Saint-Esprit. Une question est consacrée au Père, deux au Fils et trois au Saint-Esprit. Saint Thomas présente le Saint-Esprit autour de ses propriétés, de ce qui le distingue personnellement : Amour et Don. Amour, car il procède comme l’amour du Père et du Fils. Lorsqu’on aime, la première chose qu’on donne, c’est l’amour même. Cet amour est le don, le don que le Père et le Fils font aux créatures que sont les anges et les hommes, capables de recevoir l’Esprit Saint.

Qu’est-ce que la communion trinitaire pour saint Thomas ?

Pour saint Thomas, la communion trinitaire comporte deux aspects :

  • L’être. Le premier aspect, c’est l’unité substantielle, la consubstantialité des trois personnes divines. Cet aspect est absolument propre à Dieu Trinité et ne peut pas être transposé de manière univoque à une communauté humaine.
  • L’agir. Le deuxième aspect, c’est l’amour, l’amour par lequel le Père et le Fils sont unis dans l’Esprit Saint, ou l’amour par lequel le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont unis dans une communion d’amour. Les trois personnes divines sont unies dans une société d’amour qui est le Saint-Esprit en personne.

Ces deux aspects sont donnés à l’Eglise en participation. L’Eglise participe à l’unité substantielle de la Trinité par la grâce, car la grâce fait participer à la nature divine. C’est dans l’ordre de l’être, de « créatures nouvelles ». L’Eglise participe à la communion d’amour à travers les vertus théologales et les dons du Saint-Esprit, en particulier la charité qui nous vient du Saint-Esprit. Lorsque le Saint-Esprit nous est donné, la charité nous est donnée ; lorsque la charité nous est donnée, l’Esprit Saint nous est donné. La charité, qui est comme l’âme de l’Eglise, nous donne de participer à la communion trinitaire.

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