La grâce

Qu’est-ce que la grâce ? Quelles sont les diverses espèces de grâce ? Qu’est-ce que les différentes aides de Dieu nous permettent de faire ? Qu’est-ce qui cause la grâce ? L’homme peut-il se disposer tout seul à la grâce, sans l’aide de Dieu ? Ou bien est-ce Dieu qui dispose l’homme à la grâce ? Comment l’homme coopère-t-il à son salut ? Comment l’humanité du Christ intervient-elle dans le don de la grâce ? Les frères Gilles Emery et Benoît-Dominique de La Soujeole nous introduisent à ces questions chez saint Thomas.

Qu’est-ce que la grâce ?

Qu’est-ce que les différentes aides de Dieu nous permettent de faire ?

Quelle est la part de l’homme et celle de Dieu dans la réception de la grâce ?

Comment la justification d’un homme pécheur s’opère-t-elle avec sa coopération ?

Comment l’humanité du Christ intervient-elle dans le don de la grâce ?

Comment le Christ a-t-il communiqué la grâce au jour de sa chair, et maintenant ?

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Résumé

Qu’est-ce que la grâce ?

La grâce, c’est essentiellement une aide que Dieu nous donne, au-dessus de ce qui revient à notre nature, pour accomplir son plan de salut envers nous.

Sur cette base, on distingue plusieurs sortes de grâces :

Les charismes. Ce sont des dons gratuits donnés à des personnes pour l’utilité d’autrui, c’est-à-dire pour l’édification de l’Eglise. Par exemple, le charisme d’enseignement ou de gouvernement ou tel service particulier.

La grâce habituelle sanctifiante. C’est la grâce qui nous est donnée par Dieu pour guérir notre âme du péché, et surtout pour élever notre âme, en la transformant, afin de la mettre en communion avec Dieu. C’est la participation ou communion à la nature divine dont parle la deuxième épître de saint Pierre.

La grâce actuelle. Ce sont les interventions de Dieu. Non pas seulement la qualité de l’âme qu’est la grâce habituelle, mais une intervention, une motion de Dieu qui intervient pour pousser, pour activer notre volonté à vouloir le bien, à l’accomplir et à persévérer.

Il y a ensuite d’autres distinctions parmi les grâces. En particulier la grâce de la persévérance finale, c’est-à-dire la grâce de demeurer dans le vouloir du bien jusqu’au terme de notre vie et qui est un pur don de Dieu.

Pour revenir à la grâce habituelle sanctifiante, elle regarde à la fois notre être, c’est-à-dire qu’elle élève l’être de l’âme, notre nature pour la faire participer à la vie divine, c’est la divinisation, mais elle regarde aussi notre agir surnaturel. Et là, il s’agit essentiellement des vertus théologales et des dons du Saint-Esprit. Les vertus théologales sont la foi, l’espérance et la charité. La foi est principe d’activité de connaissance surnaturelle. La charité est principe d’activité d’amour surnaturel. C’est là ce qu’on appelle les dons de la grâce sanctifiante qui concernent donc la dimension d’activité ou d’opération. On peut dire que les dons de la grâce sanctifiante (foi, espérance et charité) sont comme les fleurs par rapport à cette racine qu’est la grâce sanctifiante habituelle.

Ce sont ici différents aspects qui font partie d’un même organisme, qui sont toujours donnés ensemble ou qui, par le péché mortel, sont perdus ensemble.

Qu’est-ce que les différentes aides de Dieu nous permettent de faire ?

Saint Thomas, dans un article de la Somme, explique que la grâce a cinq effets principaux :

  • Guérir notre âme du péché, et en la guérissant, la conforter ;
  • Nous donner de vouloir le bien ;
  • Nous donner d’accomplir effectivement le bien que nous voulons ;
  • Persévérer dans la volonté du bien ;
  • Parvenir à la vie éternelle, c’est-à-dire à la gloire.

La grâce sanctifiante nous permet essentiellement d’accomplir la volonté de Dieu, c’est-à-dire premièrement d’observer les commandements, la loi naturelle, en commençant par la règle d’or : fais le bien et évite le mal, et d’observer les commandements par charité. La grâce nous donne deuxièmement de collaborer à l’action de Dieu : c’est ce qu’on appelle le mérite. Par notre consentement, qui vient lui-même de la grâce de Dieu, nous œuvrons avec la grâce pour que des fruits de vie éternelle en résultent. Il y a enfin cette grâce de la persévérance, c’est-à-dire la grâce de demeurer dans la volonté de Dieu jusqu’au bout, et qui, elle encore, est un pur don de Dieu que nous ne pouvons pas nous donner à nous-mêmes.

Quelle est la part de Dieu et celle de l’homme dans la réception de la grâce qui sanctifie ?

Benoît-Dominique de La Soujeole (BDLS) : Cette façon de parler de « parts » implique pour nos contemporains un schéma 50/50, qui a existé dans l’histoire. La crise pélagienne avait ce schéma que l’homme se disposait tout seul à la grâce, qu’il pouvait, même sans la grâce, accomplir des actes bons, et que la grâce arrivait un peu comme une aide, intéressante et utile, mais sans nécessité profonde. Cette vision ayant été vraiment reconnue comme incompatible avec la foi chrétienne, plus subtilement est né ce qu’on a appelé le semi-pélagianisme, où l’homme se disposerait tout seul à la grâce, par ses efforts de vertu naturels, et Dieu viendrait récompenser ses efforts. Cela aussi n’a pas été reconnu comme exprimant la foi de l’Eglise. La foi de l’Eglise, c’est celle de l’antériorité totale, absolue et constante de la grâce. Dans cette grâce qui est toujours antérieure, c’est l’acte de Dieu, c’est l’antériorité de Dieu qui est derrière. Au sein même de cette grâce est inscrite la nécessité qu’elle soit reçue humainement, acceptée et vécue humainement. Si on prend les choses sur un simple schéma chronologique, ça peut être plus simple : c’est Dieu qui cherche l’homme, ce n’est pas l’homme qui cherche Dieu.

Gilles Emery (GE) : On pourrait peut-être développer cela en faisant remarquer que cette vue des choses implique une métaphysique. Ce n’est pas n’importe quelle forme de pensée, n’importe quelle philosophie, qui permet de saisir cela. Saint Thomas l’explique lorsqu’il écrit, par exemple, que l’effet de l’action de Dieu ne vient pas à 50% de Dieu ou en partie de Dieu (d’où l’ambiguïté de la question : quelle est la « part » de Dieu ?). L’effet de Dieu et de la créature ne vient pas en partie de Dieu et en partie de la créature, mais il vient tout entier de Dieu et tout entier de la créature, dans la mesure où cette créature reçoit la grâce et la met en œuvre. Cela implique une compréhension des relations entre Dieu et la créature, entre Dieu et les êtres humains, qui ne pose pas l’homme face à Dieu ou en concurrence avec Dieu, mais qui saisit l’action de Dieu comme donnant l’être, donnant la faculté d’agir, donnant l’agir même et donnant même le mode libre de notre agir avec la grâce qui guérit, conforte et élève notre agir. Cela n’est pas recevable dans n’importe quelle conception philosophique, puisque déjà à la fin du moyen-âge et dans les temps modernes s’est développée une vue concurrentielle. Ce n’est pas du tout le cas dans la vue de saint Thomas, et cela demande une véritable métaphysique de l’être et de l’opération.

BDLS : A l’époque du pélagianisme (4e-5e siècle) et semi-pélagianisme (5e-6e siècle), le facteur philosophique de départ, dépendant de la philosophie moderne, est qu’il y avait cette difficulté à concevoir la profondeur du salut dont il est question. Pour Pélage, le péché originel, ce n’est pas une déformation importante de la nature humaine. C’est simplement un mauvais exemple qu’Adam nous aurait donné. Et la rédemption par le Christ est essentiellement l’exemple vécu, pratique, de ce qu’il faut faire dorénavant. Il y a dans l’histoire à la fois une insuffisante saisie de la profondeur du salut nécessaire à l’humanité, et la gravité de cette question est redoublée par des philosophies qui sont impropres à en rendre compte.

Comment la justification d’un homme pécheur s’opère-t-elle avec sa coopération ?

GE : La justification consiste essentiellement dans l’amitié avec Dieu que procure la grâce divine, tout d’abord en guérissant notre nature humaine, notre âme du péché, du péché originel et des péchés actuels que nous avons commis, en élevant notre nature humaine et en la confortant. Si l’on pense maintenant à la première justification, c’est-à-dire à la justification par laquelle nous devenons membres du Christ, enfants de Dieu, cette justification s’opère essentiellement, principalement et totalement par la grâce de Dieu. Dieu met en nous sa grâce, il nous pousse ou meut, comme écrit saint Thomas. Il meut notre libre arbitre à consentir et à accueillir sa grâce. Dieu meut également notre âme à un acte de foi et de charité envers lui et envers le prochain. De là provient la rémission des péchés. Tout vient de l’action de Dieu, du début jusqu’à la fin, qui intervient au cœur de notre être, et qui intervient même dans le mouvement, l’acte du libre arbitre par lequel nous consentons à la grâce divine, et par l’acte de foi et de charité sans lequel on ne peut pas être sauvé.

Si l’on considère, de manière plus large, la justification dans la vie chrétienne, qui est la continuation, le fruit, le développement de cette justification initiale, la collaboration de l’homme se trouve précisément dans le oui qu’elle apporte à la grâce divine. Un oui qui provient toujours d’une disposition de Dieu, qui prévient toujours notre agir, qui nous donne la grâce comme qualité de l’âme, et qui intervient aussi pour nous mouvoir à l’acte, pour nous donner de poser des actes justes et saints. C’est, encore une fois, la structure d’une coopération où Dieu et l’homme n’agissent pas en concurrence, mais où Dieu est la source de ce que l’homme réalise, qui permet de comprendre par exemple ce qu’est le mérite. Le mérite n’est rien d’autre que la fructification sous l’action de Dieu des dons que Dieu lui-même a mis en l’homme.

BDLS : On peut illustrer cela à partir du baptême. On se souvient que la grâce baptismale est une grâce positive et négative. Positive : c’est la grâce d’adoption filiale. Négative : c’est la grâce de purification de la tache originelle et des péchés personnels. Il s’avère que le rite baptismal, le rite proprement sacramentel, le rite essentiel, ne dit qu’une partie de la grâce. C’est une ablution d’eau, c’est une purification. Ça dit la grâce « négative », ça ne dit pas la grâce « positive ». Dans le traité de la grâce, saint Thomas dit : du point de vue de Dieu, c’est le don de sa vie qui est premier, et c’est cela qui fait reculer en nous tout ce qui est incompatible avec la vie divine, c’est-à-dire le péché originel ou les péchés personnels. Mais du point de vue de l’homme, c’est l’effet immédiat total et définitif du baptême qui est l’effet de purification, qui l’introduit dans la vie divine, dans laquelle il va se mouvoir par une coopération par toute sa vie. Il y a donc dans la vie chrétienne cette double dimension de la grâce. L’adoption filiale qui ne peut venir que de Dieu va être la grande affaire de toute notre vie.

GE : Lorsque nous parlons de la grâce de la justification première ou de la grâce de la vie chrétienne ou de la grâce sacramentelle, saint Thomas la situe toujours dans sa finalité, qui est la vie de la gloire, c’est-à-dire dans la vie bienheureuse, qui est la vision de Dieu et la vie ressuscitée dans l’Eglise du ciel. La grâce est toujours vue chez saint Thomas comme le chemin par lequel nous parvenons à rejoindre Dieu dans la vie de la gloire, dans la vie de Dieu lui-même. Cette dimension eschatologique, c’est-à-dire qui regarde l’accomplissement final, est constamment présente chez saint Thomas, de telle sorte que sa compréhension de la grâce n’est pas statique, mais est essentiellement dynamique, toute orientée vers notre union à Dieu et, en particulier, vers cette union la plus haute qui est la vision de Dieu et surtout la vision de Dieu dans la résurrection.

Comment l’humanité du Christ intervient-elle dans le don de la grâce ?

GE : Pour saint Thomas, toute grâce de la vie chrétienne et toute grâce dont vivent les justes, est une participation de la grâce dont l’humanité du Christ fut remplie dès le premier instant de sa conception. Pour le dire autrement, toute grâce est une dérivation de la grâce qui remplissait le Christ et qu’il nous donne par l’Esprit Saint. On peut comprendre le rôle du Christ de plusieurs manières. Si on le saisit en termes de causalité, au sens où l’agir humain du Christ est la cause de notre grâce, il y a trois lignes d’explication.

Le Christ est la source ou l’auteur de notre grâce par son mérite. Dieu a disposé que la vie du Christ, et en particulier sa passion sur la croix, soit pour nous, en raison de la charité avec laquelle le Christ a vécu et de son obéissance au Père, une source de grâce. Ce qui présuppose une disposition divine, un plan divin de salut, dans lequel le Christ est le médiateur du salut. Ce qui implique aussi que la grâce ne nous est pas communiquée par le Christ de manière extérieure, mais de manière intérieure à la façon dont la vie passe de la tête aux membres du corps. Ce que saint Thomas illustre en parlant plusieurs fois de l’Eglise et du Christ, comme étant une seule personne mystique. C’est en ce sens que chez saint Thomas la doctrine du salut, la christologie est indissociable de l’ecclésiologie.

La grâce du Christ est l’exemplaire de notre grâce. Pas seulement le modèle, au sens d’un bel exemple à suivre, mais dans un sens ontologique, c’est-à-dire qui touche l’être lui-même. C’est ainsi, par exemple, que saint Thomas explique que la passion du Christ est la cause exemplaire de notre mort au péché, c’est-à-dire de la rémission de nos péchés, et semblablement, la résurrection du Christ est la cause exemplaire de notre vie nouvelle en Dieu, et cela dans l’ordre de l’être même de notre vie de la grâce.

Le Christ est cause de notre salut et de notre grâce par mode de causalité efficiente instrumentale. La cause efficiente, c’est celle qui rend compte de l’existence même d’un effet. C’est la cause en tant qu’elle produit un effet dans l’être. Saint Thomas prend comme comparaison un artisan qui, au moyen d’une scie fabrique un meuble ou un lit. Par sa puissance propre, une scie ne peut que couper. Mais, en tant que l’artisan s’en sert pour fabriquer un meuble, en tant qu’on considère la scie non plus en elle-même seulement, mais comme un instrument, la scie fait un meuble. L’effet de la scie, considérée comme instrument, est le même effet que celui de l’artisan lui-même. Or, par son incarnation, le Fils de Dieu s’est uni une nature humaine, de telle sorte que dans le Christ, l’humanité est unie à sa divinité. L’humanité est constituée par l’incarnation comme instrument animé, propre et conjoint de la divinité. Ici s’applique l’analogie de l’artisan et de la scie. Cela signifie que par tout son agir humain, par tout ce que le Christ a vécu, et de manière éminente par sa passion, l’agir humain du Christ nous procure cet effet divin qu’est le salut. Ce qui permet à saint Thomas d’écrire que le salut par lequel l’humanité du Christ nous sauve n’est pas différent du salut par lequel sa divinité nous sauve. Cela donne une très grande profondeur et une étendue à l’agir humain du Christ. Cela a pour conséquence que, puisque tout effet porte la marque de l’instrument s’il y en a, toute grâce sera christique, toute grâce portera la marque du Christ, et toute grâce incorporera au Christ et à l’Eglise.

BDLS : En raison de l’unité mystique qu’il y a entre la tête et le corps, ce que le frère Gilles vient de dire au sens propre, premier et principal du Christ, il faut le dire en un sens second et subordonné de l’Eglise. Causalité méritoire, causalité exemplaire, causalité instrumentale se retrouvent dans le corps du Christ qu’est l’Eglise. Le mot le plus fréquent chez saint Thomas, c’est l’influx : si le Christ est sanctifiant de ces trois manières, c’est parce qu’il est saint. Si l’Eglise est sanctifiante de ces trois manières, c’est parce qu’elle est sainte aussi, dans le Christ.

GE : Cette compréhension que saint Thomas applique à l’Eglise implique du point de vue de la christologie un sens très vif de l’unité de la personne du Christ. C’est spécialement en référence aux Pères Alexandrins (saint Athanase d’Alexandrie, saint Cyrille d’Alexandrie) que saint Thomas a développé cette vue ; c’est-à-dire les Pères de l’Eglise qui avaient un sens particulièrement vif de la profondeur à laquelle, dans le Christ, l’humanité était unie à sa divinité. C’est une caractéristique de la christologie de saint Thomas qui implique d’importantes conséquences sur sa notion du salut, de la grâce et de l’Eglise, et en particulier du rôle de l’humanité du Christ dans le don du salut.

BDLS : Il y a un adage bien connu des Pères grecs qui dit que par son incarnation, le Verbe s’est uni de quelque manière à toute l’humanité ou à tout homme. Par le fait même qu’une humanité singulière en tout comparable à la nôtre est unie dans la personne même du Verbe, il y a donc cette capacité reçue de l’humanité à avoir cette situation causale unique et principielle en raison de l’union hypostatique, mais participée et réelle en raison de tous ceux qui sont unis à la tête. Il y a une nouvelle dignité humaine qui a été donnée par l’incarnation elle-même, à tous ceux qui dès lors, partageront cette nature.

Comment le Christ a-t-il communiqué la grâce au jour de sa chair, et maintenant ?

GE : Dans le traité des missions divines (Prima Pars), on trouve une explication lumineuse. L’incarnation, et la vie du Christ dans sa chair, sur cette terre, ont été ce que saint Thomas appelle la vision visible du Fils. Celle-ci comporte comme élément constitutif le rejaillissement en plénitude de la grâce dont le Christ était totalement rempli. Ce rejaillissement se fait sur un double mode : mode d’enseignement (enseignement de la foi), et mode d’opération.

Le Christ communique sa grâce par son enseignement, c’est-à-dire par sa parole qui sanctifie, non pas en tant qu’elle est une parole extérieure, mais en tant que le Christ envoie également intérieurement l’Esprit Saint qui permet de recevoir cette parole comme une source de vie et de vivre conformément à cette parole.

Le Christ nous sauve sur le mode de l’opération, par les actes salvifiques eux-mêmes (tous les actes de la vie du Christ, avec la passion au centre et avec la résurrection).

La communication de la grâce se fait principalement par ces deux réalités.

BDLS : Le mystère de l’Eglise est institué dans la logique profonde et le dynamisme profond de la mission visible du Fils. Ce mystère de l’Eglise est de quelque façon la mission divine du Fils qui continue à être la mission visible pour nous aujourd’hui. Il n’y a pas plusieurs missions visibles, mais il y a une visibilité pour nous aujourd’hui : c’est la mission apostolique. La mission apostolique se fait par les deux opérations évoquées par le frère Gilles : la prédication de la foi et les actes particuliers que sont les sacrements. Avec la relation très intime qu’il y a entre la prédication du Christ et ses actes sauveurs, puisque ce que sa prédication révèle et annonce, c’est ce qu’accomplissent ses actes sauveurs. La mission visible de l’Esprit est la Pentecôte, c’est là où cette économie est rendue parfaite. Cette mission visible continue. L’Eglise vit de ça.

GE : Souvent, lorsqu’il est question de l’agir sauveur du Christ et ensuite de la médiation salvifique de l’Eglise, on cède à la tendance un peu facile d’opposer le Christ et l’Esprit. On reproche parfois à saint Thomas ou à la tradition thomiste d’avoir concentré son regard sur le Christ au point d’avoir oublié l’Esprit. Or, l’Esprit est omniprésent. On ne peut pas parler du Christ sans parler de l’Esprit. S’il y a plénitude de grâce dans le Christ qui fait de lui la tête de l’Eglise, c’est parce qu’il a reçu, dès le premier instant de sa conception, la plénitude de l’Esprit Saint. C’est cette grâce que l’Esprit communique. De même, les apôtres, à la Pentecôte, reçoivent la plénitude de grâce de l’Esprit Saint. Par leur ministère d’enseignement, de prédication et leur ministère sacramentel, ils communiquent ce même Esprit. C’est une intelligence théologique du Christ et de l’Eglise qui est profondément marquée par la présence et l’activité de l’Esprit Saint.

BDLS : On a parlé de la mission visible du don de l’Esprit. L’Esprit n’est pas que du côté de l’intériorité, il est aussi du côté de l’extériorité. Il fait partie de la visibilité. Ce n’est pas une division du travail entre ce qui est intérieur de l’Esprit, extérieur du Christ, c’est tout ce qui se passe à la fois intérieurement et extérieurement, invisiblement et visiblement.

GE : C’est seulement pour des raisons pratiques que l’on distingue, d’un côté la théologie trinitaire et la christologie, et de l’autre l’ecclésiologie et la doctrine des sacrements. En réalité, chez saint Thomas, elles forment un grand tout et sont du même ordre. Elles sont à penser, à saisir et à enseigner ensemble.

BDLS : Les principes d’intelligibilité radicaux du mystère de l’Eglise sont dans la Prima Pars avec la question, notamment, des missions divines. On peut remonter plus haut, dans la doctrine trinitaire elle-même, puisque les deux lieux évangéliques où la mission visible du Fils est manifestée ainsi que celle de l’Esprit sont le baptême et la transfiguration. Dans la Somme de théologie, qui n’a pas de traité spécial sur l’Eglise, c’est dans la Prima Pars, dans le mystère de Dieu lui-même et d’abord en lui-même, que logent les principes radicaux d’intelligibilité de tout le reste.

GE : On pense souvent que c’est en déterminant l’agir de Dieu par sa relation aux créatures qu’on répond le mieux aux questions qui se posent aujourd’hui. En réalité, pour saint Thomas, c’est d’abord en contemplant le mystère même de Dieu en lui-même, Père, Fils et Saint-Esprit que l’on trouve les principes d’intelligibilité qui permettent de saisir la profondeur et l’étendue de l’économie christique, pneumatologique et ensuite ecclésiale, sacramentelle, qu’il a déployée.

BDLS : La valeur de saint Thomas est dans la valeur de la cohérence de l’ensemble, mais en partant de la théologie.

GE : Autrement dit, la théologie est d’abord une doctrine sur Dieu.

BDLS : Comme son nom l’indique.

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